sabato 10 gennaio 2015

Bataille de Caporetto/Kobarid/Karfreit, l’utilisation du gaz de combat - "Une bouffée d’essence brûlante dans la gorge" - Témoignage de Ivo Ivančič (Traduit par Giorgia Ciondoli)

© Camillo Pavan, 1997 -  Caporetto: storia testimonianze, itinerari


Cette fois-là, tout le front de Plezzo avait été bombardé avec le gaz, en utilisant des grenades à gaz, dont je conserve plusieurs exemplaires dans ma collection. Mais ce bombardement «générique» n'a pas obtenu de très bons résultats. Au contraire, ce qui a produit un effet déterminant par rapport au destin de la bataille, a été le lancement de mille obus des clairières plates, protégées par des escarpement, au-delà du village de Vodenca, en arrivant de l'Isonzo. Les milles grenades contenant le gaz se trouvaient dans des tuyaux, une espèce de mortiers, appelés Gaswerfer en allemand, et ils ont été lancées toutes au même temps, grâce à un contact électrique, en direction des tranchées italiennes situées à cinq cent mètres, en localité Naklo.
Une fois effectuée la rupture du front, les Allemands ont abandonné les tuyaux. Mirko Fuljac, un vieux recuperante* de Plezzo qui m'a appris à ouvrir mes premières dix-quinze bombes et qui désormais est mort, me racontait que plusieurs années avant que je le connaisse, il avait trouvé ces tuyaux. Il les avait pris et il avait essayé de les vendre, mais il n’avait pas gagner beaucoup d'argent parce qu'ils étaient des simple tuyaux en fer. Mais il n'était pas en mesure de comprendre pourquoi tous ces tuyaux étaient là. Maintenant on le sait!
Chaque tuyaux contenait une grenade cal.180 chargée de gaz. J'en ai retrouvé deux de ces grenades: une était déjà vide, parce que la base s'était corrodée au contact du terrain et le gaz en était sorti, alors que l'autre était encore chargée.
Nous étions trois amis quand nous avons trouvé cette bombe dans la zone de Naklo: moi, Anton Kauc, qui est déjà mort, et Dvsan Klavora. Nous savions de façon certaine que la grenade était encore chargée, parce qu’elle est tout comme une bouteille que, si on la secoue, on sent bouger le gaz dedans. Le problème était: comment pouvait-on l'ouvrir, après avoir considéré le caractère dangereux du contenu ?
On y a mis deux années, avant de trouver une solution. On en parlait quand on se rencontrait au bistrot, on en parlait les soirs d’hiver… jusqu’au moment où — c’était vers 1980 — on a décidé de passer à l’action.
On a chargé un fusil avec une balle de mitrailleuse lourde Breda 8 mm de la Seconde Guerre Mondiale (qui avait été trouvée dans cette zone, elle aussi, abandonnée par les Italiens quand ils se sont retirés après le 8 Septembre). On a porté la bombe jusqu'à un endroit qui, on en était sûr, n'était absolument pas fréquenté, haut sur la montagne. C'était un de ces lieux où, pendant toute l’année, passe peut-être une seule personne au maximum. Nous l’avons mise par terre et on a approché le canon du fusil, à environ deux centimètres. Ensuite on a relié la détente à une longue ficelle qu'on a fait tourner autour d'un côté de la grenade, de façon qu'on pouvait se placer de l'autre côté par rapport à la sortie du gaz. On s'est éloigné à plus que cinquante mètres et on a tiré la ficelle. Le coup est parti. La puissante balle a percé la cuirasse de la grenade et le gaz en est sorti en sifflant à cause de la pression. Il a crée un nuage blanc (semblable au brouillard, mais tirant sur le jaune de façon très légère) qui s’est répandu pour vingt-cinq mètres à peu près.
Peu après, quand les traces du gaz avaient désormais disparu, j’ai proposé à mes amis d’aller contrôler la grenade. Dvsan ne se fiait pas à venir et j'y suis allé seul avec Anton Kauc. On s'est approché lentement, prudemment, quelques centimètres à la fois, en flairant l'air afin qu'on pouvait s'arrêter au moindre odeur suspect. Et quand on était à environ six-sept mètres de la bombe, on a senti au même temps quelque chose qui nous empêchait de respirer; nous nous sommes enfuis à toute allure.
Et pourtant on ne voyait pas de gaz, même si quelque chose restait dans l'air, évidemment. C'était comme dans une salle où l’on ne fume plus pendant des heures, mais l'air est encore imprégné de fumée.
Plus tard, même si je me rendais compte qu'il était dangereux, j’ai dit à mon ami : «Aidi, greva se nkret… », qui, dans notre dialecte, signifie : «Vas y, encore une fois ». Mais Anton était trop effrayé. « Non », il m'a dit, « moi, je ne veux plus y aller».
Mais moi je suis fait comme ça, je voulais essayer encore une fois ! Je me suis approché de nouveau, moi seul, toujours en flairant l'air, un pas à la fois. « Il n'y a rien », je me disais en m’approchant au point où j’avais senti le gaz, et j'ai avancé encore un peu. Peut-être le vent a-t-il changé de direction en ce moment-là, je ne sais pas: en un instant je me suis trouvé dans le gaz, j'ai senti dans la gorge comme une bouffée d’essence brûlante qui était en train de prendre feu dedans. « Ah, je ne respire plus!».
Je me suis tourné, j'ai eu tout juste le temps de faire quelque pas en courant et, quand j'ai terminé l'air, je suis tombé à terre. Je pouvais sentir mes amis qui commentaient: «Il est condamné, il est déjà fichu…».
Mais quelque temps après je me suis repris et j'ai commencé a tousser, graillonner, expulser mucus par le nez. J'ai dû attendre dix minutes avant de pouvoir respirer de façon presque normale. Deux heures plus tard la gorge me brûlait encore un peu et seulement le jour après je m’étais complètement remis. Maintenant je peux confirmer ce qu'on peut lire dans certains livres italiens: c'est-à-dire que les soldats sur lesquels ce gaz a été lancé sont morts en crachant sang et morceaux de poumon (1). C'est vrai, j'en suis sûr, parce que moi je l'ai connu, ce gaz.
Afin que tu te rendes compte de la puissance de ce gaz, je vais te raconter une chose encore. Quand on a fait exploser la grenade, c'était vers la fin de l'été, peut-être la fin d’août, peut-être le début de septembre, de toute façon, dans le bois, les feuilles étaient encore vertes. Quelques jours après on y est retourné et les feuilles, dans un rayon de cinquante mètres du lieu de l'explosion, étaient toutes brûlées, elles avaient la même couleur que ce buffet; et non seulement les feuilles étaient brûlées, tout était brûlé, l’herbe aussi avait séché. Après cinquante mètres le végétation était un peu moins brûlée, mais les traces du gaz étaient encore visibles jusqu’à deux cent cinquante mètres de la grenade. Et tout cela avec une seule grenade. C'était le gaz phosgène (2), je l’ai lu dans un document militaire italien qui remontait au temps de la guerre (3). Mais moi je ne suis pas un expert en chimie et je ne suis même pas en mesure de dire s'il avait la même odeur des amandes, du café ou des pâtes! Je n'ai senti aucune odeur (4). Tout ce que je peux te dire c'est que je suis la dernière personne encore vivante qui a respiré ce gaz!
Mais laissons tomber les discussions sur le genre de gaz utilisé. Ce que je sais en toute certitude c'est qu'il atteint la gorge et que si j'avais respiré à pleins poumons, une fois seulement, je serais mort. Quand j'ai respiré le gaz, il n'y avait plus de brouillard blanc, il n'y avait plus rien, et pourtant j'étais près de mourir. Et cette fois-là les Allemand ont lancé mille bombes qui ont explosé avant de toucher le sol, en provoquant un grand nuage, chargé de gaz. Ensuite le gaz, qui est plus lourd que l'air, est descendu au sol, il est entré dans les tranchées, dans les baraques, dans les cavernes, partout.
Et un seul souffle a suffit, à ces soldats italiens, pour mourir.

--------------
* À la fin de la 1ère Guerre Mondiale, le recuperante était un véritable métier qui consistait à recueillir tout matériel de guerre pour le revendre. (n.d.T.)
--------------


Notes

1 Le témoin n’a pas été en mesure de m'indiquer l'auteur dont il parlait, et moi non plus je ne suis pas arrivé à l’identifier. Les mots de Ivancic rappellent ceux qu’on peut lire dans la traduction italienne de Fritz Weber, Dal Monte Nero a Caporetto, 1ère édition italienne,  Mursia, 1967, p. 382. «Qua, là, dappertutto, questa nebbia orrenda, bastava aspirarla una volta perché i polmoni ne venissero corrosi, una sola boccata e la vita se ne andava a brani sanguinolenti»*. Ou encore de Walther Schaumann - Peter Schubert, 1990, Isonzo, là dove morirono …, Ghedina e Tassotti, Bassano del Grappa, Vicenza, p. 220: «Fra le masse dei cadaveri sedevano alcuni intossicati dai gas che sputavano sangue da sotto il becco delle loro maschere…»**.
2 D’après Attilio Izzo, Guerra chimica e difesa antigas, deuxième édition mise à jour et augmentée, Hoepli, Milan, 1935, p. 21, à Plezzo, «gli aggressivi adoperati furono il difosgene e la difenilcloroarsina. I colpiti (circa 500-600 uomini) morirono istantaneamente» ***. C’était le 5èmebtl., 87ème rgt., brigade Friuli. (Relazione Ufficiale Italiana, Ministero della Difesa, Stato Maggiore dell'Esercito, Ufficio storico, 1967, L'esercito italiano nella Grande Guerra, vol. IV/3, schizzo 3).
Phosgène et diphosgène, sont classés parmi les gaz de combat suffocants, puisqu’ils attaquent les voies respiratoires, et tous les deux ont un indice de toxicité très élevé. L’ « avantage » du diphosgène est sa stabilité au contact du fer, comme ça il est possible de le charger directement sur les balles, comme il est évident des grenades récupérées par Ivancic, tandis que l’acide cyanhydrique « ne peut pas être utilisé à l’état liquide » dans les bombes en fer. (Izzoop. cit., p. 52) En outre, le diphosgène « n’est pas facilement décomposé pas l’eau » (id., p. 50) et cela est un facteur dont les attaquants ont tenu compte, à cause du milieu physique et des conditions atmosphériques dans lesquels ils auraient dû utiliser la gaz.
La déphénylaminechlorarsine, dont les balles étaient marquées par les Allemands avec une croix bleue, est classée parmi les gaz sternutatoires, même si elle a une toxicité intrinsèque. Elle « stimule fortement les muqueuses du nez, de la gorge, des yeux et des voies respiratoires ». (Id., p. 71)
3 Il se réfère à une photocopie de sa collection qui, malheureusement, n’a pas d’indications bibliographiques.
4 Il s’agit d’une réponse à mes sollicitations à propos de l’œuvre de Giovanni Comisso, Giorni di guerra, 3ème édition revue, Longanesi, Milan, 1960, p. 127) et celle de Mario Silvestri, 1984,Caporetto, Una battaglia e un enigma, (Oscar Bestsellers, Mondadori, 1995), p. 180, qui, d’après l’affirmation de Comisso à propos de l’odeur de l’acide cyanhydrique (amandes amères), et des considérations de Weber, (op. cit. pages 380 et 383), affirme que le gaz lancé à Plezzo n’était pas phosgène, mais acide cyanhydrique. Mais l’acide cyanhydrique (ou acide prussique), même s’il est classé parmi les composés les plus toxiques, si utilisé seul, « à cause de sa grande volatilité… n’a donné en guerre que des résultats médiocres ». (Izzoop. cit., p. 51)

--------------
          

Ça et là, partout, ce brouillard affreux, il fallait le respirer une fois seulement pour qu’il corrodait les poumons, une bouffée seulement et la vie s’en allait en pièces saignants.

 ** Parmi les masses de cadavres étaient assis des intoxiqués par les gaz qui crachaient sang du bec des masques antigaz…

*** Les gaz de combat qui ont été utilisés sont le diphosgène et la déphénylaminechlorarsine. Qui a respiré les gaz (environ 500-600 hommes) est mort à l’instant.


PS
Ivo Ivančič (1937, Bovec/Plezzo/Flitsch) possède une collection-musée de pièces de guerre qu’il a recueilli lui-même sur les champs de bataille du secteur Rombon-Plezzo.

Traduit par Giorgia Ciondoli
(Traduzione di Giorgia Ciondoli)

Nessun commento:

Posta un commento